«J’ai posé mes tripes sur la table»

Julian Alaphilippe n’était pas forcément attendu en vainqueur d’une étape de montagne. Mardi, son succès au Grand-Bornand révèle l’évolution d’un coureur qui «aime (se) faire mal mais (se) trouve plus calme qu’avant».
«Quand avez-vous commencé à penser que la victoire était possible ?
Dans l’ascension du col de Romme (l’avant-dernier à 28,5 km de l’arrivée) quand j’ai vu que le groupe auquel j’appartenais commençait à être en difficulté. C’est seulement à ce moment-là, même si j’avais vu dans les autres ascensions que j’avais les jambes. En début de journée, ça avait été très difficile de partir à l’avant. On a finalement réussi à sortir un gros groupe et c’était une bonne chose d’être à deux devant pour Quick-Step avec Philippe Gilbert.
Vous étiez le favori à Mûr-de-Bretagne et vous êtes passé près du Maillot Jaune, mais sans concrétiser. Vous ressentiez le besoin d’évacuer cette frustration ?
Non, c’est sûr que c’est frustrant quand on passe proche de la victoire et je savais que j’étais très attendu en première semaine, mais je n’avais tout simplement pas les jambes pour m’imposer à Quimper ou Mûr-de-Bretagne. Il fallait continuer à aller de l’avant, un Tour c’est dur mais on sait qu’il y a d’autres opportunités. Il fallait le gérer et je trouve que j’ai bien réussi à le faire. Aujourd’hui j’ai posé mes tripes sur la table. Ça me tenait à coeur de gagner ma première étape sur ce Tour, j’en suis très content. C’est sûr que ça va rester.
La façon dont vous avez exprimé votre joie à l’arrivée, n’était-ce pas malgré tout une forme de revanche après pas mal de deuxièmes places ?
C’est clair que des frustrations j’en ai quand même eu pas mal depuis quelques saisons. Ma chute aux Jeux Olympiques, repris à la flamme rouge au Championnat du monde, battu par Sagan dans la deuxième étape de mon premier Tour, toutes ces deuxièmes places derrière Valverde dans les classiques… Ces frustrations à la pelle font grandir et rendent plus fort dans la tête. Mais ce que j’ai exprimé à la fin, cette émotion, ce n’était pas par rapport à la frustration, c’était la douleur. Je me suis fait vraiment mal pour aller la chercher. J’ai beaucoup pensé à mon père qui a des ennuis de santé, je suis allé loin dans la douleur parce que je savais qu’il regardait.
Ce côté très expansif n’a jamais nui à votre carrière ?
J’ai du caractère mais je pense que c’est une bonne chose dans le métier que je fais. Je vis pleinement le cyclisme, je suis épanoui dans ce que je fais. C’est difficile, ça demande des sacrifices, une hygiène de vie irréprochable pour le haut niveau. Je fais les choses au mieux. J’ai progressé depuis mes premières années, mes résultats le prouvent. J’ai besoin que ça bouge, je m’ennuie vite et pour moi la première semaine a été difficile à gérer, je me suis beaucoup ennuyé. Je suis impulsif mais j’arrive à contrôler un peu mieux mon tempérament. J’aime la vie, j’aime me faire mal mais je me trouve plus calme qu’avant. Depuis le début de l’année, ça ne me dessert plus, au contraire.»

» Un maillot distinctif, ça se respecte »
« Un maillot distinctif, ça se respecte », a estimé Julian Alaphilippe, vainqueur mardi de la 10e étape du Tour de France au Grand-Bornand et nouveau maillot à pois de meilleur grimpeur, précisant que le ramener à Paris « c’est une autre histoire ».
Quelles sont les émotions qui vous ont traversé l’esprit en franchissant la ligne d’arrivée?
« C’est un peu compliqué de raconter toutes les émotions, je suis juste super content de ce que j’ai fait aujourd’hui, d’avoir été devant toute la journée avec Philippe, d’avoir bien sur maîtriser le final. La victoire, de cette manière, c’est juste spécial. Il fallait rester vraiment calme et c’est souvent mon problème de ne pas y arriver. J’étais confiant, je savais que c’était une étape très difficile. On a pris de l’avance et ça m’a donné de la motivation. »
Quand avez-vous pensé que la victoire d’étape était à votre portée ?
« J’avais imaginé m’échapper et gagner, parce que c’était un grand objectif. Mais gagner de cette manière, tout seul, en faisant je ne sais pas combien de kilomètres tout seul, c’était un peu risqué. J’ai seulement commencé à penser que je pouvais gagner dans les derniers kilomètres dans l’ascension du Col de Romme, quand j’ai vu que le groupe commençait à vraiment être en difficulté. Ce n’est qu’à ce moment-là que j’ai pensé que je pouvais gagner. Dès le début de la journée, c’était difficile d’être devant. J’ai essayé de bien gérer mon tempo. »
Vous avez raté le maillot jaune à Mûr-de-Bretagne, alors que vous étiez bien placés avec Philippe Gilbert. Y a-t-il eu de la frustration à ce moment ?
« C’est sur que lorsque l’on passe proche de la victoire, il y a forcément de la frustration. On était tous les deux dans une bonne situation, tout proche du maillot jaune. Personnellement, j’étais un tout petit peu déçu de ma première semaine en Bretagne, où je savais que j’étais attendu. Je n’avais tout simplement pas les jambes pour m’imposer au sommet de Mûr-de-Bretagne ou même à Quimper. C’était à moi de bien gérer, et je pense que j’ai plutôt bien réussi. »
Vous portez le maillot à pois de meilleur grimpeur, en ayant pris de précieux points. Est-ce un objectif pour vous désormais de le ramener à Paris ?
« Non, ce n’était pas vraiment sur mon programme de prendre le maillot à pois. Aujourd’hui je me suis battu pour aller chercher une place et j’avais de bonnes sensations. Un maillot distinctif, ça se respecte. Ça aurait été dommage de laisser passer les autres devant, donc j’ai fait les sprints de tous les grimpeurs. Je suis fier de porter ce maillot, mais de là à l’avoir jusqu’à Paris, c’est une autre histoire. Je vais profiter de ce moment, aujourd’hui c’est très spécial. »
Propos recueillis en zone mixte et en conférence de presse.
Texte : www.courrier-picard.fr – Photo : www.courrier-picard.fr